mercredi 2 mai 2018

Si vous ne pouvez pas voir quelque-chose, cela peut vous tuer…

Article original de Ugo Bardi, publié le 17 avril 2018 sur le site CassandraLegacy
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

la propagande, par exemple.


Si vous n’avez jamais passé ce test auparavant, prenez deux minutes pour regarder cette courte vidéo avant de lire le texte ci-dessous.

Le test d’« attention sélective » que vous voyez ci-dessus a été développé en 1999 par Christopher Chablis et Daniel Simons. Il montre comment les gens ont des difficultés à percevoir les choses les plus évidentes lorsqu’ils se concentrent sur quelque chose qui suscite leur attention. Souvent, c’est vu comme une sorte de jeu de salon psychologique mais il a une signification profonde.



Ce phénomène d’attention sélective peut bien décrire la situation du monde actuel. Nos dirigeants vieillissants semblent être si obsédés par leur virilité − et incertains à ce sujet − qu’ils essaient de se rassurer en tirant des missiles. Et, en faisant cela, ils négligent tout le reste. Mais ce n’est pas seulement une question de dirigeants vieillissants, tout le monde occidental montre des signes évidents de sénilité au niveau sociétal. La plupart d’entre nous dans notre vie quotidienne sommes fixés sur des détails sans importance et passons à côté des questions importantes qui menacent notre existence même.

Ainsi, nous ne percevons pas le gorille qu’est le changement climatique, ainsi que d’autres gorilles qui portent des noms différents : effondrement de l’écosystème ; épuisement des ressources ; surpopulation ; pollution généralisée et plus encore. Certains de ces gorilles sont reconnus et décrits par la communauté scientifique, mais le public et les dirigeants ne parviennent pas à entendre les conseils qu’ils reçoivent.

Encore plus inquiétant est la possibilité qu’il existe des gorilles que même les scientifiques ne peuvent pas détecter. À titre d’exemple, nous sommes quotidiennement exposés à un cocktail de métaux toxiques résultant de l’activité industrielle. Nous savons que chaque métal, seul, n’atteint pas (normalement) des concentrations si élevées dans notre corps qu’il peut être considéré comme dangereux. Mais nous ne savons pas vraiment ce qui se passe quand les gens ont plusieurs métaux à faible concentration dans leur corps − ce qui est le cas pour la plupart d’entre nous.

Ou, comme autre exemple, considérez la concentration atmosphérique de CO2. Aujourd’hui, nous sommes tous exposés à une concentration atmosphérique de plus de 400 parties par million, considérablement plus importante que tout ce que notre espèce a respiré au cours du dernier million d’années, au moins 280 ppm avant l’ère industrielle. En l’état actuel des choses, il est probable que nous atteindrons au moins 500 ppm − soit près du double des valeurs que nos ancêtres ont connues. Maintenant, en dehors du changement climatique et de ses catastrophes, ces concentrations de CO2 sont-elles mauvaises pour notre santé ? Si oui, à quel point ? Comment pouvons-nous savoir ? Quand nous découvrirons cela, il se pourrait bien qu’il soit trop tard.

Mais ce sont des cas autour desquels nous pouvons au moins suspecter la présence d’un gorille quelque part, d’une certaine sorte. Il peut y en avoir d’autres si bien cachés que nous n’imaginons même pas qu’ils puissent exister. Pensez aux anciens Romains. Ils n’ont jamais pu comprendre ce qui les frappait : ils manquaient complètement des outils intellectuels qui leur auraient permis de comprendre le concept d’« effondrement de la société ». Ce gorille était complètement invisible pour eux. Sans surprise, tout ce qu’ils ont fait pour essayer d’améliorer leur situation (murs défensifs, armées plus fortes, MRGA [Make Rome Great Again, NdT], etc.) ne les a pas aidés et a même eu l’effet inverse. Notre situation n’est pas si différente − même si nous avons des outils que les Romains ne pouvaient même pas imaginer, nous ne faisons pas mieux. Cela n’aide pas si une minuscule minorité de personnes éclairées voit correctement le problème : jusqu’à ce que les leaders le perçoivent, le gorille restera invisible.

Alors, comment pouvons-nous voir le gorille ? Ce que je peux dire de mon expérience personnelle, c’est que quand je montre le clip ci-dessus à des gens (mes élèves, par exemple), ils ont plus de difficultés à voir le gorille si je les pousse à se concentrer sur le ballon. Inversement, si les gens sont plus détendus, ils peuvent facilement voir le gorille.

Donc, vous devez être détendu pour voir ce que vous auriez manqué. C’est le truc qu’ils utilisent contre nous. Ils nous inondent de détails, ils gardent notre esprit occupé, de nouvelles choses arrivent, l’une après l’autre… Pas étonnant que l’image d’ensemble nous manque − c’est l’un des nombreux trucs de la propagande. Et la propagande pourrait bien nous tuer tous, y compris ceux qui l’utilisent contre nous.

Ugo Bardi est professeur de chimie physique à l’Université de Florence, en Italie. Ses intérêts de recherche englobent l’épuisement des ressources, la modélisation de la dynamique des systèmes, la science du climat et les énergies renouvelables. Il est membre du comité scientifique de l’ASPO (Association pour l’étude du pic pétrolier) et des blogs en anglais sur ces sujets à « Cassandra’s Legacy ». Il est l’auteur du rapport du Club de Rome, Extrait : Comment la quête de la richesse minière mondiale pille la planète (Chelsea Green, 2014) et Les limites de la croissance revisitée (Springer, 2011), parmi de nombreuses autres publications savantes.

Note du traducteur

Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager cette perle trouvée par Antipresse. Comme quoi, certains peuvent voir des gorilles qui n'existent pas ou plutôt des « fake gorilles ». Comme souvent, Ugo Bardi fait preuve d'un grande esprit d'analyse mais pêche par ses propres biais.

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